François BOESFLUG sur les bijoux de Brune BOYER – 2004
Tout bijou est un savant montage. Mais la grande majorité des bijoux, pour l’essentiel, font tout voir d’eux-mêmes au premier regard et mettent en avant, en relief, au centre, ce qui passe pour le plus précieux : perle, brillant, émeraude, figure émaillée, initiales, etc. Les bijoux conçus par Brune Boyer Pellerej depuis cinq ans environ constituent à cette égard une sorte de révolution.
Ceux de la série par elle intitulée » Cheminez » (sa deuxième ou troisième série de bijoux) répondent cependant à ce même processus créateur qui, alors qu¹elle vivait en Espagne, lui avait fait imaginer la série intitulée » Bâtir des châteaux en Espagne » (voir le catalogue ainsi intitulé) : le monde environnant, l¹architecture de ce pays surtout, lui donnant l’idée directrice d’une série homogène de bijoux unifiée, en l’occurrence, par un même noyau plastique, disons : d’audacieux palais, ouvragés sur promontoires.Rentrée en France, ayant eu à vivre quelques années à Paris, elle a observé autour de soi : et ce coup-ci, ce sont les cheminées qui l’ont inspirée, ces innombrables cheminées des toits parisiens en ribambelle, anonymes et banales en apparence, mais qui chacune, il suffit d’imaginer, est reliée à un foyer comme une oreille à l’audition, ou comme un œil protubérant assurant à chaque demeure le droit de contempler le ciel ; et Brune de nous entraîner à rêver que celui qui pourrait s’y glisser et » remonter « , ou si vous préférez descendre comme marchand de sable ou Père Noël, vers l’appartement dont elle provient découvrirait progressivement, au fur et à mesure qu’il s’y enfoncerait, la lumière d’un intérieur, sa chaleur, son intimité et son prix.
Et c’est le pourquoi profond, d’abord, de ces petits cylindres noirs, parfois seuls, mais souvent en couples ou en trio, ils sont jusqu’à cinq ; et c’est la raison de leur intérieur doré ; et du fait aussi que ces bijoux sont des janus bifaces, ou plutôt des minerais de métal rare, des hameçons de l’oeil, mais en pas du tout dangereux, au contraire, avec un dehors de gangue et un dedans de lumière ; un dehors en forme de tuyau, de pointe ou d’antenne, et un dedans plus vaste, faisant tache, pluie, surface, poche, ventre, non pour enclore dans les ténèbres, mais illuminer et réchauffer ; et dans le port du bijou comme sur le toit des immeubles, selon la conception de Brune, doit apparaître d’abord l’extérieur, en pendentif ou en broche, mais agrafé à une partie interne, métallique et pourtant douce au toucher, rendue très vite tiède par le contact de la peau, partie moins visible, tantôt cachée tantôt dévoilée, carrément ou furtivement, par les mouvements, inclinaisons et virevoltes arbitraires et souverains de la vie de la porteuse du chemisier ou de la robe. L’or, que Brune travaille ici pour la première fois, étant du côté de cet espace intime entre la seconde peau du vêtement et la première, celle du corps, le bijou ayant donc deux faces, insistons, l’une plus secrète, adaptée à la physique du contact, et l’autre publique, faisant saillie et signal, celle-ci ayant des allures sombres, fonctionnelles, industrielles, presque vulgaires bien que finalement fort variées, celle-là étant à l’inverse précieuse, lumineuse, sensuelle, la réunion des deux ne se voyant bien qu’en exposition, une fois le bijou dégrafé, » au repos » pourrait-on dire, réuni à lui-même sans qu’un vêtement ne s’interpose plus entre ses deux moitiés et perdant de ce fait cette part de mystère qu’il ne tient que d’être porté.
Les bijoux de Brune sont des trajets en pointillés qui suggèrent le cheminement de l’extérieur à l’intime, du rugueux au doux, de la surface à la profondeur. Leur sensualité va très au-delà du sexuel. Ils sont une initiation à la valeur cachée des choses et des êtres. Car ils relativisent le paraître, rappellent que la vraie valeur au-delà de toute valeur est du côté de celle qui porte. La trouvaille de Brune, c’est une structure d’objet qui sache montrer cela, bellement, justement, sans le dire. Qu’on me pardonne de le dire.
Cheminez, coeur, 1998
Broche, cuivre et fer doré à la feuille
© Michel Azous